mardi 10 avril 2012

Erika et Cour de Cassation : Voie sans issue ?



Vendredi dernier les médias, et le journal "Libération" en particulier, rendaient public les conclusions de l'Avocat Général près la Cour de Cassation dans le cadre du pourvoi formé suite à la décision de la Cour d'Appel de Paris dans le dossier "Erika". La teneur de ces conclusions présentées comme inattendues soulignent, une fois de plus, la complexité de ce dossier de pollution marine aux multiples dimensions.

Pourtant, en l'espèce l'argumentaire de l'Avocat Général est d'une redoutable simplicité et bien représentatif de la lecture stricte qui doit être faite du droit pénal : les juridictions répressives françaises ne pouvaient pas, selon lui, être saisies du volet pénal du fait de pollution marine car le naufrage a eu lieu en Zone Économique Exclusive (ZEE), donc hors du territoire national (pourtant zone dite "sous juridiction de l'Etat côtier").
En d'autres termes le lieu de l'infraction (délit de pollution marine) se situant hors du territoire et le prévenu, comme le navire, n'étant pas de nationalité française, c'était à l'État du pavillon (Malte) de poursuivre.
Les poursuites engagées par la France seraient donc dépourvues de base légale ; la conséquence en est une cassation directe et sans renvoi (incompétence, cause d'ordre public), l'annulation des condamnations pénales prononcées envers MM. SAVARESE et POLLARA, La société RINA et la société TOTAL.

Ce n'est pas tout, le même avis souligne également le fait que le volet civil devrait à lui seul subir la cassation, en ce que la Convention CLC sur la responsabilité civile est inapplicable, car ne pouvant être retenue par une juridiction pénale. Au surplus, le préjudice écologique (pur) invoqué par de nombreuses parties civiles, ne peut être non plus retenu puisqu'il ne correspond pas à la définition du dommage par pollution de cette même convention...

Certains des arguments invoqués sont réellement problématiques (volet pénal), d'autres sont plus surprenants et révèlent, peut-être, une méconnaissance du régime de responsabilité civile applicable en cas de pollution accidentelle par les hydrocarbures (volet civil et dommage par pollution).
D'une manière générale, cet avis est d'une logique implacable dans la mesure où les principes de droit pénal et de procédure pénale invoqués sont effectivement fondés. Il est également effrayant pour les victimes dans la mesure où, s'agissant de dispositions d'ordre public,(compétence des poursuites) la cassation totale en est l'issue logique.

Cependant, si les principes et leur issue sont fondés dans le raisonnement suivi, d'autres arguments et une autre lecture juridique des textes applicables, mais surtout de l'esprit et de l'objet des dispositions internationales existantes, doivent permettre de conclure différemment. Rappelons enfin que la Cour n'est pas tenue par les conclusions, ni par l'avis du rapporteur qui, semble t-il, recommande également la cassation ...

L'histoire des pollutions marines et la pratique juridictionnelle nationale, pénale ou civile, est régulièrement marquée par des points de droit essentiellement fondés sur des dispositions internationales conventionnelles ; c'est la nature même du droit de la mer et du droit des pollutions marines que de refléter la volonté des états selon les principes et traditions du droit international. C'est la difficulté première de notre droit pénal appliqué aux pollutions marines que d'être contraint par ce même cadre.
Les exemples sont nombreux dans l'affaire Erika, mais aussi dans bien d'autres, de dispositions de conventions internationales invoquées (le plus souvent au profit de la défense du prévenu) ou de questions de conformité des dispositions internes avec ces mêmes textes.

Nous considérons cependant qu'il est possible de dépasser les conclusions de cet avis, à la fois à la lumière du droit international (droit de la mer - Convention de Montego-Bay, droit des pollutions - Convention MARPOL, droit d'intervention, etc.) et de la notion de lieu de l'infraction (fondamentale), mais également à la lecture des Conventions sur la responsabilité civile elles-mêmes (CLC 69/92), et la nature de la "faute" invoquée dans ces textes, de même que le sort des demandes d'indemnisation relatives à un poste de préjudice qui, justement, n'est pas contraint par le champ d'application de ces mêmes conventions et qui, en conséquence, peut être apprécié (à plus forte raison quand un civilement responsable n'est pas visé par la Convention).

Ces éléments méritent d'être développés dans un souci de bonne application des dispositions juridiques pertinentes au cas d'espèce, ce qui est par ailleurs la vocation de la Juridiction Suprême, Juge du droit.

Nous remercions le journal "Libération" pour son article sur la question et la possibilité de nous y être exprimé. Voir : http://www.liberation.fr/terre/01012400848-ce-qui-est-surprenant-c-est-de-demander-une-cassation-totalehttp://www.liberation.fr/terre/01012400848-ce-qui-est-surprenant-c-est-de-demander-une-cassation-totale


Y.R.

1 commentaire:

Fortunes de Mer a dit…

Bonjour,
Avez vous la possibilité de me faire parvenir une copie des conclusions ?
Gael PINSON
gpinson at fortunes-de-mer.com