La Cour d'appel de Rennes examinait hier l'affaire du Tian-Du-Feng, ce vraquier Chinois (Bulk carrier, IMO 9203497) dont le capitaine est prévenu d'avoir procédé le 16 novembre 2010 au large de Penmarc'h, à un rejet illicite d'hydrocarbure en infraction avec les règles de l'Annexe I de la Convention MARPOL 73/78, faits sanctionnés en droit Français par les articles L.218-11 et suivants du Code de l'environnement.
En première instance le Tribunal correctionnel de Brest avait relaxé le capitaine aux motifs que le rejet en cause, s'il provenait bien du navire, n'était pas constitué des mélanges d'hydrocarbures visés par MARPOL, mais "d'eau charbonneuse" issue de l'arrosage de la cargaison (opération visant à réduire la dispersion des poussières de charbon dans l'air lors du chargement et du transport).
Le Tribunal avait également ajouté qu'il n'y avait pas de raison de procéder à un rejet dans une zone aussi surveillée que les abords du DST d'Ouessant.
L'audience a duré près de 6 heures. La décision est mise en délibéré au 26 septembre prochain.
Nous proposons de revenir sur ce qui fait le cœur de cette affaire pour nous interroger sur la caractérisation du fait de pollution, en particulier son élément matériel.
Les débats d'hier se sont essentiellement articulés autour de la nature de la substance effectivement rejetée : mélange d'eau et de poussières/particules de charbon, ou mélanges d'hydrocarbures...
Dans un cas les règles techniques de MARPOL ne s'appliquent pas aux conditions du rejet, dans l'autre elles s'imposent (15 et 34 de l'Annexe I essentiellement).
Alors charbon ou hydrocarbures ? Rejet licite ou rejet illicite ?
Le premier problème vient du fait que l'observation visuelle, directe, opérée par l'agent verbalisateur des Douanes Françaises, et les photos qui corroborent ce constat, font clairement état des caractéristiques d'étalement, de forme, et de couleur, d'un mélange d'hydrocarbures par référence au code d'apprence des Accords de Bonn. Or, la simple détection visuelle appuyée sur ce code d’apparence qui le caractérise, démontre l'existence d'un rejet d'hydrocarbure dans des concentrations supérieures à la norme (15 ppm). Le système SLAR mis en œuvre par l'aéronef avait déjà repéré la "zone de calme" à la surface de l'eau, dans le sillage du navire, et caractéristique de la présence d'hydrocarbures en pellicule... Phénomène que peuvent produire un temps des particules de charbon (flottabilité) mais pas sur 6 km de long (dispersion dans la colonne d'eau).
Le second problème vient du fait que le charbon transporté en vrac en tant que cargaison, et arrosé à bord selon une fréquence ordonnée par l'affréteur, produit logiquement une eau chargée de particules de ce même minerai. L'eau s'acheminant ensuite par gravité dans les fonds du navire jusqu'aux ballasts dans des proportions importantes (plusieurs dizaines de m3 par opération). Régulièrement ces ballasts devront être vidangés de leur contenu (une alarme informe le bord du niveau). Il est important de souligner que ces mêmes ballasts produisent également, par décantation, des boues constituées de particules de charbon, véritables résidus de la cargaison.
Le troisième problème vient du fait qu'il est démontré que de tels rejets "d'eau charbonneuse" peuvent être confondus avec des rejets de mélanges d'hydrocarbures. L'autorité maritime Australienne produit en effet, dans son guide d'observation aérienne des pollutions marines, des éléments en ce sens. Elle précise également que si à la détection visuelle d'un sillage suspect la confusion est possible, il convient de procéder aux vérifications d'usage par référence au code d'apparence des Accords de Bonn pour bien différencier les produits rejetés.
Le quatrième (dernier ?) problème, et sans doute le plus important à notre sens, provient indirectement, mais objectivement, de l'analyse effectuée sur un mélange d'eau charbonneuse prélevée dans un ballast à bord du navire.
Selon cette analyse il s'agit bien d'un mélange d'eau de mer et de poussière/résidus de charbon. Les résultats soulignent également la présence d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) dans l'échantillon liquide.
Notre question est dès lors la suivante : Le fait de rejeter à la mer un mélange "d'eau charbonneuse" en particulier chargée de boues produites par décantation dans les ballasts, et contenant des HAP en concentration nécessairement plus importante que dans un échantillon liquide, est-il à l'origine des confusions de cette affaire ?
Pour nous voilà l'explication au fait que l'agent verbalisateur (et également l'expertise photos) constate, et atteste, repère et observe, un rejet présentant toutes les caractéristiques de forme, d'étalement, de couleur, bref de comportement d'un rejet de mélanges d'hydrocarbures...car il s'agit bien d'un tel mélange. Les "eaux charbonneuses" et les boues qu'elles produisent, surtout quand elle transitent par les ballasts et les canalisations ou subsistent toujours diverses huiles, sont chargées d'hydrocarbures. En l'espèce la concentration du rejet était nécessairement supérieur à 15ppm pour être détectée visuellement.
Sans être un rejet provenant de la tranche machine du navire, le rejet en cause est un rejet d'eau chargée d'hydrocarbures dans des proportions excessives.
C'est également pour cela que le bord et le capitaine sont certains de ne pas être en infraction et d'avoir rejeté en conformité avec MARPOL. Rejeter de l'eau charbonneuse n'est pas interdit, mais rejeter un mélange d'hydrocarbures dans des proportions supérieures à la norme (et donc détectable) si.
Notons pour terminer que dans les zones spéciales MARPOL (dans laquelle le navire alors présent en ZEE allait ensuite pénétrer), tous rejets, y compris donc d'eau charbonneuse, est interdit par la réglementation internationale.
Si la matérialité des faits peut être établie, reste l'élément intentionnel de l'infraction que seule la Cour pourra
apprécier.
Quoiqu'il en soit, nous considérons que dans l'intérêt de la protection de l'environnement marin, la question des boues de cargaison issues de ces opérations d'arrosage, devrait être considérée avec précision par la Convention MARPOL, et notre Code de l'environnement.
YR
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