Le Tribunal Correctionnel de Paris a rendu son jugement dans l'affaire de "l'Erika", mercredi 16 janvier dernier. Un jugement "historique" ? Oui... et non.
Face à l'histoire des marées noires ayant touché le littoral français, oui en effet c'est bien la première fois qu'une juridiction pénale nationale est entrée en voie de condamnation.
Du strict point de vue du droit les choses se compliquent. En effet, s'il s'agit bien d'une première condamnation pénale, il convient de préciser le contenu de la décision afin de faire la part des choses entre ce qui est historique et ce qui est plus simplement une décision de première instance.
Le jugement : 3 chefs d'inculpation avaient été retenus à l'issue de l'instruction : délit de mise en danger de la vie d'autrui ; délit d'abstention volontaire de prendre les mesures permettant de combattre un sinistre et délit de pollution des mers. Seule cette dernière base d'incrimination a effectivement été retenue par le Tribunal pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de quatre prévenus uniquement. Les autres ont été relaxés. Messieurs SAVARESE, POLARA, la société RINA et la société TOTAL S.A ont donc été condamnés sur le plan pénal à 75.000 € (pour les personnes physiques) et 375.000 € d'amende (pour les personnes morales).
C'est bien là que se trouve le caractère historique du jugement : la loi de 1983 définissant le délit de pollution des mer accidentel, et en vigueur au moment des faits, n'avait jamais été retenue à l'encontre des propriétaires-armateurs et gestionnaires d'un navire citerne, d'une société de classification et de la structure responsable du choix du navire.
Autre élément historique : l'ampleur et la nature des réparations civiles accordées. Le nombre de parties civiles à la procédure (plus de 100) est représentatif de l'ampleur géographique de la pollution tout comme de son impact sur l'environnement.
Les intérêts civils accordés peuvent être groupés autour des notions de préjudice moral, de préjudice matériel, d'atteinte à l'image et d'atteinte à l'environnement. Sur ces fondements, environ 192 millions d'euros ont effectivement été accordés aux demandeurs, sous la forme d'une responsabilité civile solidaire entre les condamnés.
Là encore, il s'agit bien d'une première, quantitativement.
En revanche, qualitativement, s'agit-il bien d'une première décision considérant la réparation du préjudice écologique souvent évoquée ces derniers jours ? On peut en douter. Tout d'abord parce que la notion de "préjudice écologique" a déjà été examinée par des juridictions compétentes, en France, en cas de pollution du milieu (Cf. notamment Cour de Cassation, Chambre Criminelle, du 30 octobre 2007, inédit). Ensuite, parce que dans cette affaire on peut légitimement se demander s'il s'agit bien de réparations civiles accordées au titre de ce préjudice : le Tribunal utilise en effet l'expression "d'atteinte à l'environnement".
Le débat est ouvert car un premier examen des dommages-intérêts alloués au Conseil Général du Morbihan (ce dont il faut se réjouir, tout comme pour la LPO mais toutefois sur d'autres bases), révèle qu'il s'agit en premier lieu d'une réparation accordée au titre du préjudice subit par le Département en ce qu'il exerce des compétences de gestion, notamment, sur des espaces particuliers que sont les Espaces Naturels Sensibles. Sur l'assiette d'une taxe perçue sur ces espaces rapportée aux surfaces effectivement touchées par la pollution, le Tribunal a pu reconnaître un dommage ET évaluer ce dommage.
Il y a bien une dimension fiscale, monétaire donc quantifiable, de ce préjudice particulier en l'espèce. Pour ce qui est de l'atteinte au vivant, non marchand, non approprié, non géré, aucune avancée ne peut être invoquée du point de vue juridique.
Enfin, à ce stade, le caractère historique doit être relativisé pour deux autres raisons. Tout d'abord car il s'agit bien d'une décision rendue par une juridiction de première instance qui ne fait pas plus autorité vis-à-vis des autres juridictions nationales que n'importe quel autre TGI. Ensuite, s'agissant justement d'une première instance, la possibilité de faire appel reste entière pour les condamnés comme pour les victimes. Il est juridiquement prématuré de parler de "jurisprudence" à l'égard de cette décision qui demeure une "première", ou plutôt une première étape du point de vue du droit.
Certes, du point de vue médiatique, comme du point de vue de tous les défenseurs de l'environnement (marin en particulier) cette décision est sans précédent à bien des égards (personnes condamnées, montant et nature des intérêts civils accordés) mais pour le juriste et l'analyse juridique indispensable à la continuité de la protection de l'environnement, la teneur de ce jugement doit être relativisée.
En effet, de nombreux arguments retenus par le Tribunal sont encore porteurs d'incertitudes, et devront être commentés. Ce sera le cas ici même, mais seulement à l'issue des délais d'appel...
Y.R.
Face à l'histoire des marées noires ayant touché le littoral français, oui en effet c'est bien la première fois qu'une juridiction pénale nationale est entrée en voie de condamnation.
Du strict point de vue du droit les choses se compliquent. En effet, s'il s'agit bien d'une première condamnation pénale, il convient de préciser le contenu de la décision afin de faire la part des choses entre ce qui est historique et ce qui est plus simplement une décision de première instance.
Le jugement : 3 chefs d'inculpation avaient été retenus à l'issue de l'instruction : délit de mise en danger de la vie d'autrui ; délit d'abstention volontaire de prendre les mesures permettant de combattre un sinistre et délit de pollution des mers. Seule cette dernière base d'incrimination a effectivement été retenue par le Tribunal pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de quatre prévenus uniquement. Les autres ont été relaxés. Messieurs SAVARESE, POLARA, la société RINA et la société TOTAL S.A ont donc été condamnés sur le plan pénal à 75.000 € (pour les personnes physiques) et 375.000 € d'amende (pour les personnes morales).
C'est bien là que se trouve le caractère historique du jugement : la loi de 1983 définissant le délit de pollution des mer accidentel, et en vigueur au moment des faits, n'avait jamais été retenue à l'encontre des propriétaires-armateurs et gestionnaires d'un navire citerne, d'une société de classification et de la structure responsable du choix du navire.
Autre élément historique : l'ampleur et la nature des réparations civiles accordées. Le nombre de parties civiles à la procédure (plus de 100) est représentatif de l'ampleur géographique de la pollution tout comme de son impact sur l'environnement.
Les intérêts civils accordés peuvent être groupés autour des notions de préjudice moral, de préjudice matériel, d'atteinte à l'image et d'atteinte à l'environnement. Sur ces fondements, environ 192 millions d'euros ont effectivement été accordés aux demandeurs, sous la forme d'une responsabilité civile solidaire entre les condamnés.
Là encore, il s'agit bien d'une première, quantitativement.
En revanche, qualitativement, s'agit-il bien d'une première décision considérant la réparation du préjudice écologique souvent évoquée ces derniers jours ? On peut en douter. Tout d'abord parce que la notion de "préjudice écologique" a déjà été examinée par des juridictions compétentes, en France, en cas de pollution du milieu (Cf. notamment Cour de Cassation, Chambre Criminelle, du 30 octobre 2007, inédit). Ensuite, parce que dans cette affaire on peut légitimement se demander s'il s'agit bien de réparations civiles accordées au titre de ce préjudice : le Tribunal utilise en effet l'expression "d'atteinte à l'environnement".
Le débat est ouvert car un premier examen des dommages-intérêts alloués au Conseil Général du Morbihan (ce dont il faut se réjouir, tout comme pour la LPO mais toutefois sur d'autres bases), révèle qu'il s'agit en premier lieu d'une réparation accordée au titre du préjudice subit par le Département en ce qu'il exerce des compétences de gestion, notamment, sur des espaces particuliers que sont les Espaces Naturels Sensibles. Sur l'assiette d'une taxe perçue sur ces espaces rapportée aux surfaces effectivement touchées par la pollution, le Tribunal a pu reconnaître un dommage ET évaluer ce dommage.
Il y a bien une dimension fiscale, monétaire donc quantifiable, de ce préjudice particulier en l'espèce. Pour ce qui est de l'atteinte au vivant, non marchand, non approprié, non géré, aucune avancée ne peut être invoquée du point de vue juridique.
Enfin, à ce stade, le caractère historique doit être relativisé pour deux autres raisons. Tout d'abord car il s'agit bien d'une décision rendue par une juridiction de première instance qui ne fait pas plus autorité vis-à-vis des autres juridictions nationales que n'importe quel autre TGI. Ensuite, s'agissant justement d'une première instance, la possibilité de faire appel reste entière pour les condamnés comme pour les victimes. Il est juridiquement prématuré de parler de "jurisprudence" à l'égard de cette décision qui demeure une "première", ou plutôt une première étape du point de vue du droit.
Certes, du point de vue médiatique, comme du point de vue de tous les défenseurs de l'environnement (marin en particulier) cette décision est sans précédent à bien des égards (personnes condamnées, montant et nature des intérêts civils accordés) mais pour le juriste et l'analyse juridique indispensable à la continuité de la protection de l'environnement, la teneur de ce jugement doit être relativisée.
En effet, de nombreux arguments retenus par le Tribunal sont encore porteurs d'incertitudes, et devront être commentés. Ce sera le cas ici même, mais seulement à l'issue des délais d'appel...
Y.R.
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